Périple d’une jeune musicienne qui se cherche (7)

Suite et fin des aventures de notre musicienne un peu folle.

Arrivée chez moi, bien sûr, je n’ai pas réussi à faire quoique soit d’autre que de rêvasser à mon prince charmant du moment. Dont je ne connaissais d’ailleurs toujours pas le nom, j’avais enregistré son numéro sous Thorin. Après avoir affronté les quolibets de mes deux parents virtuels (mes colocs, qui, bien qu’ils soient plus jeunes que moi, avaient, eux, la tête légèrement mieux vissée sur les épaules) et savouré le délicieux repas dont ils m’avaient laissé une portion au frigo, je regagnais ma chambre, claquais honteusement la porte au nez de Boule de Poils et me laissais tomber lourdement sur mon lit.

Pendant que je rebondissais sur mon matelas, je fus assaillie par les récents et torrides souvenirs de mon après midi. Je craquais en envoyant un sms directement à mon Thorin.

Et passais les deux heures suivantes à attendre vainement une réponse.

Et voilà, comme d’habitude, encore un mec pas aussi gentil qu’il en avait l’air. De toute façon se sont tous des cons. Puis il a répondu. Il s’était juste endormi après mon départ. Il était heureux de m’avoir rencontré. Il espérait qu’on se reverrait. Il me trouvait vraiment bizarre.

Il adorait ça.

Je m’endormis à mon tour, un sourire niais collé sur le visage, et le cœur battant fort sous ma poitrine encore frémissante. Le réveil me laissa une impression de rêve. Je ne savais plus exactement si j’avais réellement vécu tout cela.

Enfin, si.

Je savais que c’était réel, mais mes émotions me paraissaient lointaines, comme s’il elles ne m’appartenaient pas vraiment. Exit le sentiment de planer au dessus du sol. Je repensais à mon projet et n’arrivais plus non plus a retrouver l’enthousiasme qui avait caractérisé le début de mes envolées intellectuelo-artistico-révolutionnaires. Je n’aimais pas ce que l’amour pouvait faire de moi, et j’étais bien décidée à ne pas laisser mes sentiments polluer ma volonté et mon sens de la réalisation.

Alors je décidais de profiter de ce moment de pseudo lucidité, (sans réaliser que je ne faisais encore une fois que réagir à mes peurs, qui me domine lorsque je suis fatiguée ou que je me réveille) et fis la première connerie de la journée.

J’effaçais son numéro, ainsi que son message.

Comme ça, me disais-je, tu ne seras pas tentée. Et s’il veut t’écrire, il a toujours ton numéro, tentait de se rassurer Fleur Bleue. Une heure plus tard, j’étais noyée, je regrettais mon geste, mais Peur Bleue m’expliquait que c’était la meilleure chose qu’il y avait à faire, tandis que Fleur Bleue se lamentait en de longues exclamations plaintives.

Ca y est, c’était à nouveau la baston dans mon cerveau.

Branle-bas de combat, les péronnelles sortent les griffes. Je décidais de les laisser entre femelles régler le problème et partie faire une longue course dans le parc pour me changer les idées.

Il pleuvait à nouveau.

Décidément…

Au moins, il faisait jour cette fois….

…………………………………………………………

Nouveau réveil. Café, colocs qui zonent dans mon paysage, douche qu’on s’oblige à prendre parce que définitivement, on pue, retour à la case lit sans même envisager une autre alternative. Même pas vu le chien. J’ai mal au crâne. Putain, ca y est, contre coup de la bouteille de whisky. La bonne nouvelle, c’est que je me suis miraculeusement remise à un horaire relativement normal.

Il n’était que 11h quand je me suis réveillée.

Une grasse mat somme toute relative. Je crois vaguement qu’on est lundi et que j’ai potentiellement autre chose à faire que de traînasser dans mon lit. Mais actuellement je m’en fous.

Je referme les yeux.

14h30

Le téléphone sonne.

16h

Je me décide à consulter mon répondeur.

Mince.

Ma répèt…

Je pourrais appeler mes collègues pour tenter de me justifier, ou tout du moins m’excuser.

Je devrais.

Je repose mon téléphone et re-sombre illico dans ma mélancolie affective.

Pourquoi ai-je effacé son numéro !

Qu’est ce qui m’a pris !

Il doit attendre une réponse de ma part à son dernier message, et peut être n’insistera-t-il pas ?

20h

Je commence à sentir l’énergie poindre en moi. Allons bon.

Je reprend une douche, celle qu’on prend parce qu’on souhaite se détendre les muscles et le cerveau, avec plein de gels douche parfumés, que tu regrettes après d’avoir utilisé parce qu’ils sont industriels et polluants, mais qui transforment ta salle de bain en spa. Une fois sèche et habillée, un rapide coup d’oeil dans le miroir me fait réaliser que j’ai toujours la gueule en vrac.

On perçoit encore la trace de l’oreiller sur le côté de ma joue gauche.

J’ai envie d’aller voir Thorin. Avant même d’y penser, je me retrouve à me maquiller légèrement les yeux pour camoufler mon air de zombie sur le retour et je pars, mon casque vissé sur les oreilles, Boule de Poils en guise de guide. La musique à fond, je marche, je réfléchis. Je ne suis plus sûre de vouloir y aller, mais marcher me fait du bien. De pensées en pensées, complètement pointées vers ma vie affective, je me rapproche du centre-ville.

Il habite de l’autre côté. Ca doit faire près d’une heure que je marche. Je revois son visage et mon cœur se serre. Ma respiration se saccade tandis que je revis les moments partagés, que je me rappelle sa peau contre la mienne. Je me ressaisis et m’interdit de penser à cela.

Ca ne va pas m’aider.

Je m’arrête sur un banc pour ne pas arriver à mon but trop rapidement et observe à nouveau les gens. Il y en a beaucoup en couple. Ils ont l’air, pour la plupart, juste heureux d’être ensembles. Comme si cela suffisait à leur bonheur et que le reste n’avait pas d’importance. Je trouve ça merveilleux sur l’instant, mais peu après, une autre pensée, envoyée par je ne sais lequel de mes acolytes intérieurs m’arrête dans mes rêves d’amour disney :

« Crois-tu réellement que cela dure toujours ? »

– Qu’importe, puisque c’est comme les passage de chemin de fer, répondis-je, bien que je n’étais pas sûre moi même d’où je voulais en venir. Un amour peut en cacher un autre et nous porter plus loin encore !

Une autre entité intérieure prend le relais et me rappelle le moment sous la pluie, la course effrénée après le temps, et le besoin de vivre le moment présent, et l’envie-besoin d’agir pour améliorer ce qui me fait souffrir dans ce monde… Je commence à me rappeler le rôle que je me suis attribué, ou que la vie m’a délégué, peu importe, le résultat est le même. Je ne serais jamais capable de vivre en paix avec moi même si je n’agis pas. Je n’ai pas le temps pour l’amour, je n’ai pas la force de rester consciente en étant amoureuse.

Je me connais.

Tu te noierais dans cette relation, t’investirais, respirerais à l’unisson avec l’autre, et n’arriverais pas à résister. Car plus on exprime son besoin d’indépendance, plus l’autre devient présent, tendre, puis carrément pressant. Tu te laisses aller à ce confort rassurant, et sans y penser, tu abandonnes ta fougue. Et c’est là que l’autre commence à se détacher.

Car il a pu te couper les ailes.

Il enviait ta liberté, a voulu la posséder alors que ce qui est possédé n’est plus libre. Il a voulu te posséder alors qu’il n’aime pourtant pas les oiseaux en cage. Je ne peux pas me permettre de revivre ce genre de parcours. Je décide de rentrer chez moi. Il me reste deux heures d’autonomie dans mon casque, ça devrait suffire pour rentrer sans me préoccuper de ce qui m’entoure, pour marcher machinalement vers ma nouvelle destination.

Ma caverne.

La vie aurait pu me laisser ainsi perdre toutes mes illusions, mais elle ne comptait apparemment pas me laisser voguer seule dans ses flots pour le moment.

Je croisais Thorin à ce moment précis.

Il me regardait d’un air embêté, ne sachant pas quoi dire selon toute vraisemblance. Etant exactement dans la même situation, la gêne aurait pu se prolonger bien plus longtemps. Mais cette partie de moi qui m’avait déjà poussé à l’embrasser puis à sonner a encore une fois prit les choses en mains. Je me suis écoutée lui déballer tout ce que j’avais sur le cœur. Le fait que j’avais effacé son numéro parce que je ne voulais pas lui laisser la possibilité de me blesser, ni de me détourner de mes objectifs. En fait, je lui expliquais même bien plus clairement que tout ce que j’avais pu penser ces deux dernières heures. Et plus je parlais, plus je le voyais se détendre, je dirais même…se sentir soulagé. Et quand j’eus fini, il m’avoua qu’il avait pensé la même chose, tellement la même chose qu’il avait lui aussi effacé mon numéro.

Incroyable.

Nous sommes immédiatement partis boire une bière pour nous aider à digérer ce qui était en train de se passer. Environ deux litres de bière plus tard (chacun, évidemment), et le monde réinventé à l’infini dans d’interminables discussions enflammées, nous réalisions que nos chevaux de bataille étaient de la même trempe. Que la vie ne nous avait peut-être pas réunis pour régler nos problèmes affectifs, mais peut-être bien pour accomplir toutes ces choses qui nous rongeaient tout les deux.

Pour agir pour nos convictions.

Nous étions emportés par notre fougue et notre hargne, et avions déjà échafaudé de nombreux scénarios de projets sensés avoir un impact durable sur les esprits, et la bière mêlée à notre euphorie d’être ensemble, rendait nos plans formidables à nos yeux. Nous avions la sensation de participer à un de ces moments dont se rappellera l’Histoire. Et bien que cette soirée se soit à nouveau finie par d’interminables caresses au fond de son lit, nous nous endormîmes avec une impression de sérénité intérieure. Nous savions que pour l’un et pour l’autre, nos vies primaient sur notre relation, et que l’on ne risquait pas, cette fois-ci, de se perdre en essayant de s’adapter à quelqu’un qui nous demande plus de disponibilités.

Que notre liberté serait respectée.

Pas de risques.

Et ca nous donnait encore plus l’envie de se battre pour que le monde entier devienne ainsi. Libre, et respectueux des sentiments de chacun. Où tout le monde prend ses responsabilités en fonction de ses moyens, et utilise ces moyens pour les autres quand ils en ont besoin. Un monde où l’on sait que l’on peut compter sur son voisin, et vice versa. Où chacun comprend que nul n’est parfait, que nul ne peut tout faire par lui même. Mais aussi que l’on peut acquérir de nouvelles compétences avec l’aide appropriée. Où l’on sait cultiver les vertus de chacun.

Un monde qui ne nous paraissait pourtant pas utopiste à ce moment précis.

Pour la première fois de ma vie, je me sentais animée d’une foi en ma capacité d’agir sur mon environnement. Je vibrais au rythme des réunions que l’on faisait régulièrement, qui me rappelait pourquoi je vivais. Pourquoi je voulais me battre. Je ne me sentais plus vaincue par les événements, et la croyance diffuse que j’avais toujours eu quant à l’avenir de l’humanité se transformait en rage d’agir.

Elle me nourrissait et m’aidait à grandir.

J’avais montré mon logo à Thorin et il en avait fait de magnifiques tee-shirt qui arboraient fièrement le slogan « je suis un(e) inadapté(e) » Nous les distribuions dans la rue contre un prix libre. Nous voulions créer un mouvement, inciter chacun à se détacher de l’opinion publique. Nous étions utopiques et espérions le rester. Nous voulions toucher le plus de monde possible. Les débuts furent difficiles, et mon expérience de la musique de rue nous épaula pour comprendre la psychologie des masses afin de les inciter à nous écouter et acheter notre produit.

« notre produit ? » s’exclama Thorin, dont très étrangement je ne connaissais toujours pas le prénom, ayant pris l’habitude de l’appeler ainsi.

Il ne m’a jamais demandé pourquoi je l’appelais ainsi.

Il est comme ça Thorin.

Il ne pose jamais de questions.

Les questions qu’il pose lui sont réservées. Sa curiosité est purement intérieure. Ca fait parti de ce que j’apprécie chez lui. Car il s’intéresse aux autres, mais les acceptent tels qu’ils sont. Peu lui importe le pourquoi ils sont ainsi.

En l’entendant relever les termes d’achat et de produit que j’avais malencontreusement utilisés pour parler de nos tee-shirt sensés sauver le monde de sa perdition, je réalisais immédiatement que l’on devait s’être perdus quelque part en route.

Nous nous étions transformés en commerçants, sous couvert de réunir des fonds pour développer notre projet. Et nous ne savions plus réellement quel était ce projet. Que voulions nous en faire ? Dans les idéaux, les choses étaient simples, mais dans leur mise en pratique, nous avions tout simplement perdu notre fil conducteur.

La fougue s’était tout de même envolée.

Les choses ne sont pas toujours simples.

On part parfois avec les meilleures intentions du monde, et on se laisse emporter par la première impulsion, qui nous donne l’impression de vivre réellement, alors que nous n’en sommes qu’aux prémices. Et si l’on est pas bien préparé, si l’on ne s’aime pas assez tel que l’on est vraiment, on peut se perdre facilement dans les rêves des autres.

C’est dans ces moments là qu’il est important de s’isoler.

De se retrouver.

De se parler seul à seul (ou à plusieurs si comme dans mon cas on est très nombreux dans sa tête, ce qui complique parfois passablement les discussions internes…)

Bref, de faire le point.

Il était temps pour nous de se retirer, chacun de notre côté.

Les « réveil, café, colocs » s’enchaînent, et je me traîne d’un bout à l’autre de l’appartement, en trainant dans ma djellaba toute la journée. Jusqu’au jour où mon coloc me fait une remarque qui me sort de mon état apathique.

« dis donc, tu ressembles à un champignon sous une feuille qui sort la tête de la terre »

Cette étrange remarque humoristique fut le début pour moi d’une nouvelle période de mûrissement personnel. Je décidais de laisser tomber mon « combat » pour le moment, parce que, je devais bien l’avouer, il m’avait épuisé, et les résultats n’avaient même pas réussi à entamer le seuil minimal de mes espérances. J’étais partie en fonçant tête baissée, et j’avais du abandonner pour cause de trop grande illumination.

Je devais m’avouer que j’avais été complètement exaltée lors de ce mois passé à arpenter les rues avec Thorin. J’avais essayé de fédérer le maximum de gens pour faire avancer mes Idées de Sauvetage de la Race Humaine et n’avais réussi qu’à réaliser les divergentes visions du monde qu’avaient les autres.

Cela m’avait rendu moins naïve au moins.

J’avais cru que mon enthousiasme et ma grande conviction, mêlés à mon immense amour de la vie et des gens suffiraient à rallier les foules. Maintenant que j’y pense, ça explique sûrement le petit poney que m’ont offert mes colocs la dernière fois… Je dois vivre dans un monde fantastique. Bien sûr, je ne m’attendais pas à rallier d’immenses foules, hormis dans mes rêves les plus extrémistes, ceux qui me faisait peur car je me rendais compte de la force obscure que le pouvoir pouvait procurer. Car lorsque je poussais la machine à imaginer à fond, je me voyais parler à des oratoires immenses, et secouer les cœurs pour avancer vers un nouvel âge…

Limite je me voyais, sauvant des bébés chats d’immeubles enflammés.

Personne ne résiste à un bébé chat.

C’est mignon.

Tous les politiciens devraient avoir un bébé chat sur l’épaule pour monter dans les sondages.

Cela dit, j’aime pas les chats.

Heureusement, je voyais aussi l’énorme responsabilité que cela incombait. Et je n’en voulais pas. Je ne suis pas une meneuse. Ni une suiveuse d’ailleurs. Juste quelqu’un qui veut pousser les uns et les autres vers la découverte d’eux même et vers la conscience des mécanismes de leurs peurs.Vers l’amour de soi et par extension des autres.

Et non l’inverse.

J’avais bien sûr arrêté beaucoup de monde sur mon chemin, et en avait même intéressé un bon nombre, mais tous attendaient de nous que nous agissions pour eux. Ils s’apprêtaient à se laisser guider et moi, je n’ai jamais été une bonne bergère. Je sourie intérieurement en me disant que j’inviterais peut être le loup à s’en partager une, de brebis. Ou j’essayerais de le rendre végétarien. C’est bon le fromage de brebis.

En imaginant cela, je compris mon erreur.

Il était vain d’essayer de changer les autres. Chacun doit cultiver son propre jardin. La seule chose envisageable était de s’améliorer soi même. Pour donner l’exemple, être en phase avec ses convictions profondes. Et ce faisant insuffler aux gens que l’on croise la graine de l’espoir. Pour les aider à faire pousser la plante magnifique qu’ils n’avaient pas encore la conscience de porter en eux. Les aider à s’aimer assez pour que les regards que lancent ceux qui ont peur quand ils voient les autres s’épanouir ne les freinent pas dans leur éclosion. Car celui qui a peur veut garder les autres dans le noir, pour justifier sa propre couardise comme étant ce qu’il faut faire.

Justifier sa non-action par des c’est ainsi.

Se cacher sous une loi, un patron, un dieu, un ami, un amant, un ego mutilé…

Rien ne sert de convaincre car seul la différence vaincra.

Mais si chacun laissait ses vertus personnelles croître, il n’y aura plus besoin de concilier les opinions, car elles seraient toutes justes et complémentaires, car guidées par l’amour et la compréhension. Elles seraient libérées des peurs.

J’étais prête à reprendre mon chemin.

J’allais me résoudre à manger mon fromage en espérant que l’odeur tente le loup, et a partager éventuellement avec lui une côtelette. Peut-être qu’en faisant fondre le fromage dessus…

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Le réveil suivant me donna l’impression d’être un éveil plutôt. La journée me paraissait lumineuse bien que le ciel arborait ses plus beaux nuages. Je me lève et boit mon café par pur plaisir. Pas de brume matinale à chasser. Je m’active et fais la vaisselle. Personne n’est debout. Je prend ma douche en paressant délicieusement sous le jet d’eau chaude. Un petit coup d’eau froide parce que j’aime les contrastes et je sors.

Toujours personne.

Je croise enfin mes colocs qui se réveillent, étonnés de me revoir entièrement parmi eux.

J’ai même préparé des crêpes en attendant. Et pour une fois je n’ai pas bu plus de bière que je n’en ai mis dans la pâte. Quoi ! Un verre de bière au petit déjeuner n’est peut être pas le plus conventionnel des repas, mais on m’a toujours dit que les céréales, c’était bon le matin. Ils dégustent leur premier café tandis que je finis le fond de la bouteille.

Ce serait criminel de le jeter.

Une petite crêpe jambon-fromage, une autre à la confiture, une troisième que je jette discrètement sous la table pour Boule de Poils et j’en embarque une quatrième pour plus tard, ça m’évitera d’avoir à sortir de ma chambre.

Une nouvelle phase d’hibernation arrive.

Je jubile d’avance.

Je les laisse débarrasser la table, de toute façon ils n’ont pas fini et ne sont pas pressés.

Ils ne travaillent pas aujourd’hui.

Moi, j’ai le fourmillement créatif qui me reprend.

Je n’avais pas de répèt avant quinze jours. Ce qui me laissait le temps de me mettre à de nouveaux morceaux pour étoffer mon répertoire solo. Pour mes créations purement personnelles. Pour peindre aussi. Ecrire. Faire tout ce que j’aimais faire sans jamais l’avoir mis en route de manière régulière. Je devais confirmer mon nouveau style de vie.

Cette vie où je ne laisse pas mes doutes m’empêcher d’avancer.

Juste faire au fur et à mesure sans se poser de questions superflues. Un univers ouvert sur lui même.

J’avais toujours organisé ma chambre comme un repli, avec plein de petits coins isolés et fermés, des meubles coupant la pièce en deux, un lit caché derrière des séparations diverses, des bureaux tournés vers le mur. Il était temps que cela change. Je tournais mon bureau de manière à avoir une vue sur le reste de la pièce quand j’y étais installée. De suite, tout me paru encore plus lumineux. De la musique a fond dans les oreilles et j’étais partie pour une journée de remodelage intérieur. Mon intérieur et celui dans lequel je vivais par extension. A prendre dans les deux sens.

Après quelques heures d’efforts douloureux et de nombreux couinements indignés de Boule de Poils sur qui j’avais malencontreusement marché très souvent, j’avais réussi à tout bouger, y compris ma grosse armoire.

Et le résultat était saisissant.

On respirait.

Comme me le dirait une amie plus tard en la voyant, on réalisait qu’avant il y avait bien un problème, même si l’on ne s’en rendait pas compte. Phrase qui me correspondait parfaitement à ce moment là.

Je me roule un pétard et le fume lentement, confortablement installée dans mon fauteuil, momentanément débarrassé du bordel qui l’ensevelissait habituellement. J’observe ma bibliothèque, encore étonnée du nombre impressionnant de bouquins que j’avais pu accumulé ces quatre dernières années. A force de les ranger en vrac, je ne les voyais plus, ce qui ne m’encourageait pas à lire autre chose que les trois même livres, que j’avais réussi à soustraire à l’anarchie régnant dans mon armoire. J’en redécouvrais d’ailleurs certains que je n’avais jamais lu, et même certains que j’avais failli acheter dernièrement car ils m’intéressaient, bien que je ne me rappelais pas les avoir déjà chez moi. Je tisais doucement, en regardant les volutes de fumées que je recrachais s’entremêler avec un rayon de lumière. Elles dansaient autour de leur cavalier lumineux, se contorsionnant pour l’enlacer, se mettant mutuellement en valeur. La fumée, en elle même, n’a rien d’exceptionnelle, si ce n’est sa densité. La lumière a pour elle ses couleurs, mais elle manque d’opacité pour pouvoir être admirée. Les deux mélangés deviennent merveilleux. Je suivais les tourbillons en me laissant porter par cette nouvelle sensation de bien-être.

Encore une fois, cette plongée dans la beauté qui m’entourait me grisait.

Je laisse mon esprit partir là où lui seul le sait, pour puiser les idées qui deviendront mes prochaines créations. Avançant doucement dans les méandres infinis du monde des idées, je sélectionne ce qui me fait le plus vibrer, caressant au passage d’autres inspirations que je ne retiens pas, les laissant repartir à la recherche d’autres artistes à nourrir. Mon choix fait, je redescend dans la sphère de la réalité et m’assoit devant mon instrument. Le piano en l’occurrence. Je laisse mes doigts me guider. C’est eux qui s’emparent de ce qu’entend mon cerveau. Ils ont en eux la sensation laissée par les idées qu’ils ont caressées en imagination. Je laisse les formes se développer, les idées se construire, en essayant de ne pas les diriger par mon mental, mais en les laissant mûrir par elles-même.

J’essaye de n’être qu’écoute, de me laisser surprendre par ce que la musique me propose.

Des heures durant, je me laisse posséder par mon amant insatiable, m’immergeant en lui, comme si seul son souffle pouvait créer un air que je sois capable de respirer.

Je ressortis de ma transe en pleine nuit encore une fois, vidée et heureuse.

Je ne savais pas en quoi le fait de me laisser composer pourrait aider le monde à avancer, mais je laissais mon instinct me guider. J’étais sur la bonne voie. Je sentais quasiment les flots porter ma barque. Je me contentais d’observer les paysages qui défilaient, toute à ma joie de vivre.

Et j’apprenais.

Je laissais le court de l’eau diriger mon embarcation, car j’étais certaine qu’elle se dirigeait vers mon idéal, même si je ne savais peut-être pas réellement encore ce qu’il était. Et puis, peu importe le but, seul compte le chemin. Car dans ses détours, la vie m’apprend tellement de choses que je ne pouvais pas soupçonner auparavant, que je me savais riche.

D’expériences, de compréhensions, de découvertes.

Des choses qui m’étaient tellement inconnues que je n’aurais jamais su trouver ces chemins de moi même. J’ai lâché prise et fait confiance à l’avenir/le destin/la chance, appelez ça comme vous le voulez. Et cette confiance a été honorée.

Bien sûr, les choses ne se passent pas toujours comme je le souhaiterais. Mais à chaque fois, j’en ressors grandie, et je comprend que rien n’arrive par hasard. Je me laisse alors vivre, et me contente d’observer. De prendre du recul sur moi même.

Peu à peu, j’ai appris à aimer la personne que je suis.

Cette courageuse petite fille qui a toujours le cœur à la fois débordant d’amour et éternellement brisé, mais qui n’abandonne jamais. Je lui ai pardonné ses faiblesses. Car je lui en voulais, même si je ne l’avais jamais exprimé. C’est pour cela que les enfants avaient tendance à m’énerver. Pour ne pas dire carrément me crisper.

Je me suis pardonnée.

J’ai accepté que seul comptait les efforts que l’on fait pour s’en sortir, car ils nous rendent fier de nous. Et que personne, et encore moins nous même, n’a le droit de nous en demander plus que nos possibilités.

-Seuls les sots utilisent le mot échec, pensais je soudainement. Rien n’est perdu tant que l’on réussit à comprendre. Tant que l’on grandit, que l’on se trouve, que l’on s’affirme !

-Tout dépend si l’on parle du jeu de stratégie, dans ce cas, nous pourrions toujours utiliser ce mot, répond le clown en moi.

Remarque inutile.

Était-il réellement indispensable d’interrompre ma réflexion pour ça ?

Mais je souriais en coin avant de reporter ma conscience sur le travail accompli dans cette journée. J’étais épuisée, il était tard, mais je sentais que je ne pourrais pas dormir tant que je ne serais pas arrivée a la naissance de mon nouveau-né.

Le retour de la brume mentale me fit me changer de cap.

Peut-être, finalement, allais je pouvoir dormir

Grossière erreur.

J’étais pourtant maintenant assez coutumière de ce phénomène pour réaliser que je ne ferais que me tourner et me retourner dans mes draps jusqu’au matin si je retournais me coucher ! Il me fallu tout de même deux heures pour accepter que je ne dormirais pas.

Je me relève.

Café, brumes dissipées, il est cinq heures du matin.

Mon voisin ne va pas tarder à se réveiller, et je n’ai toujours pas dormi. Au mieux je peux considérer m’être reposée, voir légèrement assoupie, durant ces deux heures à faire des tours complets sur moi même… Je me remet au piano, pose le casque sur mes oreilles, et repart visiter à mon tour les contrées que mes doigts ont déjà explorées.

Parfois, mes doigts partent sur un chemin, et mon cerveau sur un autre.

Et dans ces moments, ça fait des nœuds, dans les doigts, et dans la tête.

Mais en général tout se finit bien, on concilie les idées des deux et on trouve une mélodie encore plus riche que celle qu’on avait tous imaginé.

Ca devrait toujours être comme ça dans la vie.

Fatalement, quelques heures plus tard je tombe sur les colocs, en pleine forme après une bonne nuit de sommeil, alors que j’espérais me rendre discrètement aux toilettes. On partage un autre café. La journée d’hier et ses crêpes me parait lointaine.

C’est que je suis partie très loin entre temps.

Ils rigolent sur le fait que mon retour d’outre-tombe n’aura pas duré longtemps. Ils viennent s’extasier à leur tour sur mon nouvel aménagement (mais, n’ai-je vraiment tout changé qu’hier ? Ça me paraît irréel, comme si cela faisait très longtemps que les choses étaient ainsi…) et me félicitent pour cet élan que l’on perçoit dans l’atmosphère nouvelle de ma chambre.

Enfin, quelque chose de ce goût là.

Je suis fatiguée, bien sûr, et le café ne joue plus pour moi. Je suis à la limite des palpitations, je dois me reposer. Je retourne dans ma chambre en m’excusant, et n’ai que le temps de les entendre exploser de rire avant de refermer la porte et de me noyer sous ma couette. Je ne fais qu’une courte sieste de trois heures et me réveille en pleine forme.

Il est à peine midi, j’ai encore toute l’après-midi devant moi.

Afin de ne pas me laisser tenter à glander, je décide d’aller me promener dans le parc et entraine Boule de Poils avec moi. Le parc est assez grand et laissé en jachère une grande partie de l’année pour ne pas fatiguer la terre. Propice aux ballades on oublie totalement que l’on est en ville dans certains petits coins.

Le soleil recommence à montrer le bout de son nez, et les journées se rallongent. L’odeur du printemps est encore loin, et le froid titille encore les naseaux, mais les rayons arrivent à réchauffer les joues lorsque le vent tombe.

Je prend le temps de penser aux gens que j’aime.

Ils sont nombreux.

Je suis aussitôt submergée par des vagues d’amour inconditionnel.

Je suis heureuse.

J’ai de la chance d’avoir autant d’amis, ce n’est pas l’apanage de tout le monde et j’en suis très consciente. A ce moment précis, je les sens tous autour de moi. Ils font partie de qui je suis. Je fais beaucoup d’efforts pour eux. L’amitié s’entretient autant que l’amour d’un couple. Il faut prendre le temps pour eux, il faut savoir être à l’écoute, avoir autant besoin de donner que de recevoir. Par extension, je pense à ma grand-mère qui nous a quitté et qui m’a fait ce don de l’amour, à mes parents grâce à qui j’ai fait de la musique avant même d’apprendre à lire, à leur absences aussi, et aux difficultés que toutes leurs histoires de déchirement ont mise en moi.

Il est étrange de penser que c’est grâce au fait que mes parents se soient éloignés de moi que j’ai appris à me débrouiller seule. J’ai su faire d’une blessure une force parce que j’ai su voir le pourquoi encore une fois. Si j’ai eu cette vie, c’est que c’est celle qu’il fallait que j’ai pour devenir celle que je suis.

J’aime cette fille.

J’aime son passé qui a fait d’elle une solitaire hyper-sociable.

Elle a su se transcender afin de vivre ses rêves, s’écouter tant bien que mal au milieu du brouhaha que faisait les autres autour d’elle, et a pris son envol. Sa curiosité, sa capacité d’adaptation et ses espoirs me rendent fière d’elle. J’étais fière de moi. J’étais si pleine d’amour pour moi que l’amour que j’avais à donner n’attendais plus de retour.

C’était incroyable.

Je sentais à nouveau la musique monter tout doucement. Je commençais à regagner mon appartement pour me remettre au piano quand je croisais une jeune fille en pleurs, respirant tant bien que mal entre deux gros sanglots.

Comment réagissez vous quand vous croisez quelqu’un en larmes dans la rue ?

Et ne répondez pas tous, vertueusement ;

« je m’arrête ! »

Car j’ai bien observé autour de moi, et les gens la dévisageaient plus qu’ils n’avaient l’air de compatir, et je failli aussi succomber au déni ! Je m’approchais prudemment pour qu’elle ne se sente pas agressée par ma présence et qu’elle comprenne que je ne voulais pas lui imposer ma présence, mais seulement lui proposer une oreille attentive si elle le souhaitais. Il faut croire qu’elle le souhaitais car une heure plus tard je connaissais sa vie dans les moindres détails, et je tentais de trouver quelques mots pour la rassurer.

C’était inutile au fond, je voyais bien que parler avait suffit à la calmer. S’entendre dire les choses à voix haute a parfois un effet surprenant. Cela permet de prendre du recul sur des pensées qui, lorsqu’elles ne sont pas exprimées, prennent l’ascendant sur nous. Alors qu’il suffit parfois de les expulser par la parole, car en les entendant, elles perdent de leur pouvoir hypnotique. Tout en écoutant ma demoiselle en détresse, à l’intérieur de moi, c’était devenu une réelle symphonie.

Je savais que je n’exploiterais jamais toutes les voix que j’entendais, mais j’en ferais quelque chose de potable.

On pourra me dire qu’il n’était pas très honnête de ma part de penser à autre chose pendant que la demoiselle me parlait. Mais je l’ai écoutée attentivement, la musique ne faisait qu’enrober l’instant. Et seul le résultat compte à ce qu’il paraît.

Je ne suis, bien-sûr, absolument pas d’accord avec cette déclaration.

Mais ici, le plus important était que ma nouvelle connaissance repartait avec un gros sourire plein d’espoir et la ferme intention de ne plus laisser quiconque la plonger dans un tel état, car elle méritait qu’on la respecte. Elle savait qu’elle devait avant tout se respecter elle-même, et avais juste besoin de quelqu’un pour le lui rappeler. Je savais pertinemment que sa vie n’allait pas changer du tout au tout en une discussion. Qu’elle allait probablement rejoindre l’idiot qui l’avait faite pleurer. Et qu’elle allait sûrement revivre des situations similaires.

Mais la graine était plantée. C’est tout ce que je pouvais faire.

A elle de l’entretenir.

Cette rencontre résonnait avec ma nouvelle vision du combat. Un combat où la seule personne sur laquelle on agit c’est nous même. Le reste n’est que vases communiquants.

Je me rappelle d’un moment où, en tournant légèrement mes enceintes, je me suis trouvée à l’exacte endroit où les deux signaux se croisaient. Je me sentais comme touchée par la musique, je sentais les vibrations, des basses, des aigus, c’était très intense. Mon coloc était rentré à ce moment là, et m’avait spontanément dit que je rayonnais. S’en est suivi que, emporté par mon énergie, il avait passé une journée étonnement productive. Lorsque l’on est heureux, on donne du bonheur aux autres, sans ne rien faire, juste en étant.

-Je pense que je vais essayer de faire une chanson joyeuse pour une fois, décidais-je, pas tout à fait convaincue par la possibilité de la chose

-Allons bon, c’est idiot, me répondis-je immédiatement

La mélancolie te rend heureuse, elle n’est que la preuve que ton cœur est vivace. Il n’y a pas qu’un seul type de bonheur. Voilà un sujet qui mériterait d’être traité… A peine arrivée chez moi, je me précipitais sur mon carnet et commençais à griffonner. Je jetais mes idées en vrac, ce dont je voulais parler, les tournures de phrases attirantes qui me passaient par la tête. Une demi-heure pour remplir quelques pages de notes brouillonnes.

Je fonctionne parfois à l’impulsion, parfois à la réflexion.

Cette fois, je sais ce que je veux dire, alors je tourne les mots jusqu’à temps qu’ils expriment le fond de ma pensée. Mais d’autres fois, je les laisse me guider pour qu’ils me dévoilent un peu de mon inconscient. Je relis mes notes tout en commençant à les classer mentalement, à voir le squelette de mon texte se dérouler devant mes yeux. Je chantonne quelques notes afin de trouver le rythme qui soutiendra ma composition. La musique qui tourne maintenant en boucle dans ma tête est seule maîtresse à bord. Je laisse les mots se développer sur le chemin tracé par la mélodie qui flotte, encore légèrement incertaine, au fond de mon esprit. J’ai déjà tout l’accompagnement dans la tête, celui que j’avais entendu au parc.

Il ne me restait plus, une fois le texte bien ancré, qu’à me mettre, enfin, au piano.

L’opération était facilitée par la séance de la veille où j’avais déjà fait tourner la plupart des riffs que je comptais utiliser. Je les avais déjà malaxés dans tous les sens, étirés pour qu’ils me crachent toutes leurs possibilités. Je les entendais me chanter la forme dans laquelle ils souhaitaient prendre vie. Je négociais avec certains, afin que tout le monde soit content, triturait un peu le résultat final pour homogénéiser le tout, et après de longues heures de palabres et d’expérimentations, je savourais le résultat final en le jouant encore pendant une bonne heure, inlassablement, me délectant du plaisir procuré par la fierté de la construction, par la beauté des sons qui ne me donnaient pas l’impression de venir de moi.

Je les découvrais en les jouant, y trouvant les subtilités au fur et à mesure, et tentant parfois d’analyser ce que j’avais fait.

J’ai toujours été nulle en analyse.

Que ce soit en littérature ou en musique.

Les commentaires de textes étaient mon cauchemar au lycée. J’y arrivais à peu près, mais ça ne m’intéressait pas tellement… Je n’en voyais pas l’intérêt. Vite fait, c’est sympa de comprendre les techniques, mais très vite l’envie de se les approprier prend le dessus. Je leur préfère de loin les dissertations, où l’on peut s’exprimer, jouer avec les mots, faire des phrases a rallonge pour dire quelque chose qu’il aurait été possible, mais moins intéressant, de dire en trois mots.

En musique, c’est pareil.

Je n’ai pas envie de savoir comment les autres composent. Je voulais comprendre les bases pour me libérer de la partition, je voulais comprendre le processus de création, mais pas toute l’analyse de la construction même du morceau.Pour cela, je fais confiance à mes oreilles et ma sensibilité. J’y ai mis du temps, mais les choses sont arrivées par elle même. Le temps de digérer toutes ces infos.

Maintenant, je laisse la musique me guider parce que j’ai su l’apprivoiser. Je ne cherche pas à la comprendre, car je souhaite qu’elle me surprenne, encore et encore. Je ne veux qu’infiniment la découvrir, où qu’elle me mène, aussi loin des sentiers battus qu’elle aura la volonté de me porter.

Ma nouvelle chanson était prête, je l’aimais, et je pouvais aller me coucher l’esprit tranquille.

Il n’était que trois heures du matin.

Ma matinée n’était pas perdue.

……………………………………………..

Ce matin, je n’ai pas envie de faire comme d’habitude.

Je me fais un thé. Une théière pour être plus exacte. Mes colocs sont étonnés de me voir, calme et détendue, affalée dans le canapé, ingurgitant des quantités astronomique de la mixture que j’appelle thé.

Il y a du thé dedans cela dit.

Mais beaucoup d’autres choses en général aussi, des épices, des herbes, des plantes, des trucs plus ou moins définissables, mais en général consommable… En général. Tout le monde évite soigneusement de se servir dans ma théière.

Tant mieux.

Ils vont se faire un café. On se pose tous autour de la table, garnie pour l’occasion d’une avalanche de nourriture, et on commence notre rituel d’écoute de ma nouvelle création. Bizarrement, mes intestins ne me donnent pas l’impression d’avoir allumé la piste de danse. Pas d’envie de vomir, je me sens sereine face à cette première jetée dans le monde public. Mes colocs aiment cette chanson, ils trouvent que mon son est plus mûr, ne peuvent pas mieux expliquer. Je reste zen face à la décomposition analytique du briefing traditionnel. J’ai l’impression que l’époque où je tremblais est révolue. Je sais que ce n’est qu’une impression, que je tremblerais encore. Mais je ne tremblerais plus de la même manière.

Et cela change tout.

J’ai assez confiance en moi pour accepter que les autres ne soient pas d’accord en moi. J’ai été persévérante dans ma remise en question, et cela m’a aidé à ne pas confondre combat et dictature. Laissons chacun libre d’agir, seul compte de vivre en accord avec soi-même. Il ne sert a rien d’obliger les autres à vivre comme nous, ni de les empêcher d’agir dans leur âme et conscience.

-En parlant de conscience, est ce que tu réalises que peu de gens vivent en accord avec eux même ? me glisse la voix de Bonne-mère

N’ai je pas déjà préciser que mon seul combat maintenant était contre la peur irraisonnée ?

Non ?

Et bien c’est fait ! Et j’espère que ça te va !

Silence.

Bonne-Mère est partie.

Vexée ou satisfaite, je n’en ai aucune idée. Cela dit, venant du Révolutionnaire j’aurais supposé que la remarque était perfide, mais venant de Bonne-Mère, je pense que ça voulait dire qu’il était quand même important d’aider autrui à s’accorder. Laisser les autres s’épanouir à leur vitesse ne veut pas dire les laisser se débrouiller seuls, mais savoir, comme avec ma pleureuse du parc, montrer que l’on ne veut pas s’imposer, mais qu’au besoin, on est là.

Je décide que cette journée sera dédiée à mes colocs. Ils sont là pour m’épauler, m’encourager, et comprennent quand la folie créatrice s’empare de moi. Je les embarque dans mon sillage et on passe la journée en ville. Je les inviterais peut-être même au resto ce soir….Maintenant que j’y pense, j’en connais un sympa, un restaurant basque qui sert des plats de tapas délicieux, dont un fameux, au fromage de brebis chaud….

Ca sera d’actualité.

Et connaissant Coloc numéro Un, il accompagnera sûrement ça de côtelettes d’agneau…

***************************************************

Il est important de savoir s’arrêter de penser autant que de penser.

Voilà la conclusion que je tire des derniers événements. Se poser tout le temps des questions empêche d’agir de manière juste. Moi qui voulait maintenant combattre la peur, je devais commencer par agir. Par agir juste. Si je m’écoute, je n’ai qu’une envie, revoir Thorin, et essayer de vivre l’histoire qu’on a vécu qu’à demi-mots et demi-instants depuis le début. On s’est cachés sous notre quête pour passer du temps ensemble. Parce qu’on avait tous les deux peur de se perdre dans cette relation, nous avons laissé la peur dicter le chemin qu’avait pris notre histoire.

Je pensais tout le temps à lui. Il me manquait. Qu’il soit présent ou non, il était en permanence avec moi.

Finalement, j’étais arrivée où je le voulais dans ma vie personnelle, je savais qui j’étais, et je n’avais plus peur de l’inconnu. J’étais au début de ma conquête de l’univers après tout ! La musique était enfin une composante essentielle et inaliénable de ma vie, je n’avais plus peur que l’on me détourne de mon chemin puisque j’étais en ce moment même en train de l’arpenter.

Alors il était temps de faire ce que je prônais, et de prendre mon courage à deux mains, sauter dans l’inconnu et me laisser porter sur un nouveau cours d’eau. Et je suis sûre que ce nouvel affluent se jettera dans la rivière qui me conviendra à ce moment là. Je ne sais pas de quoi demain sera fait, mais je décide dès lors de suivre la voie de ce qui me fait du bien. Et là, tout de suite, ce qui me ferait du bien, c’est parler à Thorin.

Les plus grandes expériences nécessitent de prendre des risques.

Je dégaine mon téléphone et attend, le cœur battant, qu’il décroche.

« C’est marrant, je pensais a toi, me dit-il en décrochant, j’ai envie de te voir. Vraiment envie. »

Ca y est, je fonds à nouveau, mais cette fois, je suis prête à le vivre, à transposer cette histoire dans la réalité.

Il faut que je me lance.

Moi aussi. J’ai très envie de te voir.

C’est ce que je voudrais répondre spontanément, mais ma peur me bloque encore une fois et je lui répond :

« tu cours, toi, quand il pleut ? »

Bien-sûr, elle n’aura pas pris beaucoup de temps à revenir, la peur. N’avais je pas dit que j’étais prête ? Mais je n’ai pas dit mon dernier mot. Je réussis à balbutier un :

« toi aussi tu m’as manqué »

Ouf.

Je cherche quelque chose d’autre à dire, mais au fond, une seule question me taraude l’esprit, et seule sa réponse pourra m’aider à rendre cette histoire réelle.

Car, j’avais non pas transposé cette histoire dans mes rêves les plus fous, mais bien dans mes pires cauchemars, ceux où je m’oublie dans l’Autre. Mais cette fois, je voulais commencer à vivre dans la réalité. Ni trop exaltée, ni trop détachée. Mon maître-mot : acceptation.

Seule sa réponse pourra m’aider à rendre notre histoire réelle.

« Avant toute chose, j’ai une question étrange à te poser, lui dis-je en ignorant le sourire amusé que je sens poindre à travers le téléphone. C’est important. »

Un silence attentif me confirme que j’ai toute son attention.

Seule sa réponse m’aidera à rendre mon histoire réelle.

« Comment tu t’appelles ? »

FIN

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