Bonne année !! (Ça, c’est fait !)
Ça y est! Il m’aura fallu du temps, mais je me suis lancée dans les concours de nouvelles, histoire de me remettre à écrire. Vous aviez du remarquer qu’il ne se passait plus grand chose par ici… Et bien voilà, c’est reparti! Exactement ce qu’il me fallait ; plein de thèmes, des dates butoir, bref, merci à un ancien professeur de mon lycée, adorable, qui m’a soufflé l’idée (que j’ai mis un an a mettre en place. Procrastiner ? Moi ? Jamais) ! Voilà donc la première nouvelle, sur le thème de la boucle temporelle ! Pas évident au premier abord de ne pas tomber dans les énormes et divers poncifs bien poncés du sujet n’est ce pas … N’hésitez pas à me dire si la mission est accomplie, les commentaires sont faits pour ça ! J’ai résisté à l’éternelle scène du « truc qui se répète tous les jours et oh la là on sait quoi répondre/faire à chaque instant ! »
Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter une bonne lecture !!
10 décembre 2022
Me voilà enfin dans le train ! Entre gilets jaunes, confinements et problèmes financiers, cela fait déjà quatre ans que je n’ai pu rentrer voir ma famille. Je suis a la fois toute excitée et anxieuse. C’est incroyable ce mélange de sentiments contradictoires ; le temps me paraît ralenti, j’ai l’impression que le train se traîne à deux à l’heure, bref, je suis impatiente d’arriver. Évidemment, étant dans un TGV, le défilement du paysage me rappelle que non, ce n’est qu’une impression, le train avance, plutôt vite, très vite même, respectons le « G » du TGV. Heureusement, mon voisin de siège est un mec sympa, un fan de science fiction avec qui j’ai parlé bouquins, même si je préfère de loin la fantasy.
J’adore commencer un nouveau journal ! La rencontre avec cette nouvelle entité qui devient mon meilleur ami, mon confident (enchantée d’ailleurs!), toute ces pages vierges ne demandant qu’à être remplies, c’est tellement grisant, presque…ah, enfin le contrôleur, je réfléchirais au mot exact tout à l’heure !
10 décembre 2022
Tu dois te demander pourquoi je remet la date si nous sommes encore le 10 décembre. C’est stupide ! Mais c’est parce que, aussi incroyable que ça me paraît (et que ça doit te paraître!) nous ne sommes pas ENCORE le 10 décembre, mais À NOUVEAU le 10 décembre. Je me réfugie à tes côtés pour juguler le trop-plein de frayeur qui menace de m’engloutir, peut-être que poser noir sur blanc ce qui arrive m’aidera à y voir plus clair, à accepter la réalité, ou accepter que ce ne peut-être la réalité et que je suis tout simplement en train de devenir folle. Tout est possible, c’est évident. Si ce qui arrive se passe vraiment, il est indéniable que tout est possible. Même que je sois devenue folle ET que tout cela soit vrai, en même temps, dans un espace temps ridiculement absurde, dans un non-sens évident, car quel besoin aurais-je de revivre une journée de train me paraissant déjà bien trop longue. La vie se serait-elle dit que ne pas voir ma famille depuis si longtemps était une bonne chose ? Était-ce une raison suffisante pour enfermer quelques centaines de personnes dans une boucle temporelle ? Soit, les autres n’étant pas conscients de cet état, ils n’en sont pas réellement perturbés, donc théoriquement, ne sont pas enfermés. Mais tout de même. Ma vie n’est en rien exceptionnelle, ni en bien, ni en mal. Donc, je ne vois pas ce qui pourrait justifier une intervention de la Vie pour me remettre dans le droit chemin. Soit, je n’ai pas réellement réfléchi à cela, ma nouvelle journée a débuté il y a à peine une demi-heure ; nous sortons de la gare de Poitiers, trois nouveaux passagers viennent de s’installer, la femme aux écouteurs et le papa portant son fils. Heureusement, ce gamin n’est pas un chouineur, c’est déjà ça de gagné. Mon voisin s’est replongé dans le premier chapitre de son roman. Le veinard. J’aimerais bien oublier que j’ai déjà lu Harry Potter pour tout redécouvrir…
…
…
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Nan, ce n’est pas possible. JE DOIS ÊTRE EN TRAIN DE RÊVER. Je suis en train, ça c’est sûr. Et je fais des jeux de mots pourris pendant que ma journée est pourrie. Je vais péter un câble. Je me disais aussi que je trouvais que j’encaissais plutôt bien le coup là. Tout ça n’a aucun sens !
Bon, on respire et on observe un peu les voisins. Qui sait, peut-être que l’homme de ma vie est dans le coin et je l’ai loupé, donc paf. Rembobinage. D’ailleurs, maintenant que j’y pense….comment s’est finie ma…journée d’hier si j’ose dire ? Je ne me rappelle pas du moment ou tout s’est rebooté… Combien de temps me reste t’il dans cette boucle ? D’ailleurs, qui sait, peut-être n’était ce qu’un accident et que cette histoire ne se vivra qu’une fois ? Maintenant que j’y pense, tout ce que j’écris ne servira sûrement à rien, tout s’effacera sûrement d’ici demain si je repars en arrière. Bon, je perd mon temps, ça m’énerve, je vais aller me restaurer et boire un coup au wagon bar.
10 décembre 2022 (3)
Pour résumer : rien ne s’est effacé de mon journal, c’est étrange, la journée reboucle à un moment terrifiant ; le train a freiné brusquement et je me suis cognée contre une valise qui tombait. En tout cas, c’est ce qui est arrivé hier. Alors je panique. Si j’étais morte ? Si j’étais coincée dans ce moment parce que je refuse l’idée de ma mort ? Je suis donc peut-être obligée de travailler sur l’acceptation de ma disparition, du fait que je ne reverrais jamais ma famille, que je n’ai pas revue depuis si longtemps, que tout cela est totalement injuste et que…non, non, non, je n’ai pas envie de penser à ça ! En tout cas pas maintenant. Ça ne sert à rien que je panique, ce n’est peut-être absolument pas ça, et je devrais éviter de faire des choses qui me rendrait folle. Sortir de cette boucle est sûrement possible, et ce jour là, j’espère que j’aurais réussi à mettre à profit cette expérience. Bon, étant donné que j’ai l’air bien partie pour quelques tours de 10 décembre, je vais aller m’offrir un festin au wagon bar. Je ne suis pas encore prête à bien réfléchir et le bar est bien pourvu en alcool, je ne vais pas cracher sur une bonne cuite sans conséquences. Si la journée redémarre, je ne devrais pas avoir la gueule de bois, non ? On se voit demain.
10 décembre (4)
J’ai été incroyablement stupide et prétentieuse. La vie, la boucle, l’existence ne tourne pas autour de ma petite personne ! Ah oui, pour commencer, je n’ai effectivement pas la gueule de bois. Plutôt cool. Et ensuite, je ne me suis pas bourrée la gueule toute seule ! Loin de là ! Nous étions cinq. Chacun conscient de la boucle, chacun paniqué et bien décidé à noyer cette journée dans un flot alcoolisé. Ce qui devait être une simple fuite dans les mondes éthyliques s’est transformé en soirée plutôt sympathique et pleine de fous rires. Enfin, je dis soirée, mais au fond, on est en plein après-midi. On est tout le temps en plein après-midi à vrai dire. Première question à laquelle nous n’avons pas trouvé de réponse : même si notre corps n’a aucun besoin de se reposer vu qu’il repart dans la boucle (tout comme nous n’avons pas la gueule de bois, notre corps revient dans le même état que lors de notre journée initiale), notre esprit, lui, ne va-t-il pas devenir complètement dingue s’il ne peut avoir de pause ? C’est aussi pour réguler nos émotions que nous dormons, pas que pour régénérer notre corps. Combien de temps allons nous pouvoir tenir ce rythme… Bon, j’ai rendez-vous avec les autres dans le bar alors…see you soon !
10 décembre (6)
J’ai loupé quelques jours d’écriture, mais les journées ont été très remplies. Enfin, les après-midi. Je vais essayer de tout résumer. Nous avons pu définir que la boucle commençait à 14h32 pour se finir à 18h11. Nous sommes en tout 13 à être inclus dans la boucle. Encore plus étrange, nous ne somme qu’un par wagon. Sans pour autant partager un autre point commun semble-t-il. Pas le même siège, pas de billet acheté le même jour, pas d’histoire commune, bref, nous ne voyons pas pour le moment…pourquoi nous ?
Après s’être retrouvés dans le bar avec les quatre autres, nous avons d’abord remarqué un sixième larron venu commander un café pour la première fois, donc un changement dans la routine habituelle. Nous avons déduit de son air hagard qu’il était lui aussi prisonnier de ce train perpétuel. Effectivement, en l’abordant, nous avons pu confirmer qu’il était des nôtres. Après avoir réalisé que nous venions tous d’un wagon différent, on ne s’est pas embêtés à faire dans la dentelle : on a traversé tous les wagons en demandant à tue-tête qui était coincé dans la boucle temporelle. A chaque fois ce fut pareil ; des dizaines de regards inquiets, étonnés ou exaspérés, et un, un seul regard soulagé, parfois suivi d’une crise de larmes en bonne et due forme. Nous n’étions pas seuls, nous pouvions partager des souvenirs avec les autres. On ne se rend pas compte à quel point c’est important, de pouvoir partager des souvenirs.
Parmi la bande, l’un de nous commence sa boucle aux toilettes, ce qui a plutôt tendance à l’exaspérer. J’ai la chance de la commencer juste après en être revenue. Ce qui fait que je n’ai pas eu besoin d’y retourner depuis le début de cette aventure. Chose plutôt agréable je dois dire. Voilà pour les faits un peu marrant. Nous avons aussi testé quelque chose de plutôt intéressant : l’une de nous est descendue en gare de Paris, qui n’était pas sa destination à la base, histoire de voir si elle allait sortir de la boucle. Évidemment, comme on pouvait s’en douter, elle est revenue comme chacun d’entre nous à sa place de début de boucle. Mais, et c’est là que ça devient intéressant, elle est revenue avec de nouvelles choses dans ses poches. Elle s’était acheté un sandwich au poulet (mis dans un sac en papier kraft) et deux paquet de bonbons (mis dans ses poches). Le sandwich a disparu, mais pas les bonbons. Ou plutôt pas les bonbons qu’elle avait mis dans la poche de son jean, ceux de son blazer ayant étrangement disparus. Nous avons donc décidé de chacun descendre a Paris lors de la dernière boucle, avons remplis nos poches de délicieuses denrées. Pascal a même mis une bouteille d’un bon whisky dans les poches de son imper et la bouteille était encore là à notre « retour ». Nous avons pris rendez-vous pour 15h30 dans le wagon bar, histoire de profiter un peu des bienfaits de la boucle tout en devisant et spéculant sur les raisons et mécanismes de cette aberration temporelle. Ne sachant pas quand tout cela allait finir, j’ai décidé de faire comme si je ne trépignais pas d’impatience initialement.
10 décembre (peut-être le vingtième,en tout cas pas loin)
Je commence à déprimer. Hier, j’ai fait une visio avec la famille. Ils n’ont pas très bien compris pourquoi étant donné que je suis sensée arriver dans quelques heures à leur yeux, alors l’ambiance était un peu…tendue ; teintée d’incompréhension et d’impatience. Ils avaient mille choses à faire avant que j’arrive. Je crois que c’était une très mauvaise idée. Je ne le referais pas. Mais ils me manquent tellement ! Ça doit faire a peu près un mois que je ne leur ai pas parlé, il se passe plein de choses incroyables dans ma vie et je ne peux même pas leur raconter… C’est tellement injuste. Avec les autres Coincés (on a adopté ce nom, il nous faisait rire quand on avait encore envie de rire), on a commencé par faire la fête pendant quelques boucles, je pense que c’était notre façon de ne pas craquer, et de créer des liens avec ceux qui allaient vraisemblablement devenir notre seul entourage ces prochains temps, mais petit à petit, l’envie de faire la fête a disparu. L’un d’entre nous a sa famille dans le train, mais hors de la boucle. Au début, je l’enviais, mais maintenant j’en suis moins sûre. C’est quand même atroce d’être, jour après jour, avec ceux que l’on aime, sans que ceux-ci puissent se souvenir des moments passés ensemble. Comme s’ils étaient des pantins, des poupées leur ressemblant. Jour après jour, ils répètent inlassablement les mêmes mots, font les mêmes gestes. Comme si l’on était dans un parc d’attraction, comme s’ils n’étaient que des automates. Bien-sûr, il est toujours possible de les entraîner faire autre chose, pour les sortir de leur routine, mais premièrement, il n’y a pas non plus grand-chose de nouveau a faire dans un train, très vite on épuise les différents scénarios possible, et surtout, c’est terrible de les voir, dès qu’on les laisse en autonomie, refaire inlassablement les mêmes choses.
Non, je ne l’envie plus du tout.
10 décembre (je sais plus….30 ? 40 ?)
C’est compliqué de compter ces boucles. Elles ne durent que 4 heures finalement, ce n’est même pas une journée entière. Je ne sais même pas si Noël devrait déjà être passé. Ne devrions-nous pas être en 2023, ou pas encore ? Impossible de savoir. Je ne suis pas la seule à avoir arrêté de compter. Nous pensions tous que ce serait important de savoir, mais nous avons réalisé que non, c’était surtout déprimant. Alors nous faisons comme si chaque nouvelle boucle avait quelque chose de nouveau a apporter. Nous n’avons pas le temps de faire grand-chose. Nous sommes sortis une fois à Saint-Pierre-des-Corps, histoire de changer de décor. Mais la ville était un peu déprimante à vrai dire. La ville ou le regard qu’on lui a porté. Mais en tout cas, ça ne nous a pas donné envie de réitérer l’expérience. On se contente de descendre parfois à Paris histoire de faire des courses, d’agrémenter le quotidien. Je suis allée m’acheter un nouveau livre hier. Le choix des ouvrages dans le point presse de la gare ne m’avait pas enchanté plus que ça mais l’arrivée à Paris n’étant pas très loin de la fin de boucle, on doit se contenter de ce qui est en gare et aux alentours. Moi qui ai toujours détesté qu’ils aient transformé les belles gares de ma jeunesse en minis centres commerciaux, finalement, dans ce contexte particulier, ça semble plutôt sympa comme idée. Allons bon, si je commence à faire l’éloge du consumérisme, pauvre de moi. Serais-je à ce point désespérée ? Il faut croire. Et puis c’est quoi cette façon de voir les choses ? Les belles gares de ma jeunesse ? T’es une vieille dame ou quoi ? Et voilà, je me met à m’invectiver toute seule. Folie, folie, folie….mais n’ai-je pas toujours été un peu dingue ? Les gares étaient-elles mieux avant ? Je ne sais pas. J’étais très jeune, je traînais avec tous les squatteurs, à boire des coups, à fumer…aujourd’hui je me suis peut-être embourgeoisée qui sait. Ça fait bien longtemps que je n’ai plus pris le temps de m’asseoir sur un bout de trottoir pour juste discuter avec un inconnu. Je ferais mieux de lire ce livre que je n’ai pas envie de lire. Ça m’évitera de penser.
10 décembre (trois boucles après la dernière fois)
Le livre était nul. Je m’en doutais. Après l’avoir fini, je l’ai laissé traîner sur le siège, il a donc disparu lors du redémarrage. C’est vraiment étrange ces objets qui ne restent que s’ils sont en contact avec nous même. Ça me donne une idée…
10 décembre (le lendemain)
Et mon idée a fonctionné ! Au moment de finir la boucle, j’ai enserré mon voisin de siège dans mes bras, et il est aujourd’hui avec nous dans la boucle ! Ce n’est peut-être pas très charitable de ma part, mais je préférais tester avant d’en parler à Grégoire. C’est notre compagnon dont la femme et le fils sont coincés hors de la boucle. Je vais attendre la prochaine boucle pour lui en parler, histoire de voir si Benjamin (mon voisin) sera toujours conscient demain !
10 décembre (quelques boucles après)
Donc : si je ne prend pas Benjamin dans mes bras il est éjecté de la boucle. Si je le prend dans mes bras lors de la fin de boucle, il se souvient de tout. Après lui avoir tout expliqué, il a absolument voulu rester conscient de tout ce qui se passait. On a tou de même décidé de faire une dernière expérience ; je ne l’ai pas inclus dans la boucle hier soir et la, surprise. Un « invité » ne se rappelle pas de la dernière boucle, mais par contre, il garde ses souvenirs des boucles précédentes. Je ne sais pas quoi faire de ces infos. Pourquoi seulement oublier la dernière boucle ? En tout cas, je vais aller raconter tout cela à Grégoire. A lui de décider ce qu’il voudra en faire…
10 décembre (environ une vingtaine de boucles plus tard)
Après avoir vécu quelques boucles avec nous, Benjamin a décidé de « partir en vacances » selon ses propres termes. Il a commencé à voir que c’était moins sympa que ça en avait l’air. Au lieu d’angoisser, il a préféré retourner dans une semi-inconscience. A ma charge, m’a-t-il dit, de lui dire où on en était, histoire qu’il décide ou non de nous rejoindre pour quelques temps s’il le souhaitait. Je lui dois bien ça après tout. C’est moi qui l’ai entraîné la-dedans alors qu’il n’avait rien demandé.
En ce qui concerne Grégoire, il a sorti Carole de la boucle, lui expliquant que s’il la remettait directement hors de la boucle, elle n’aurait aucun souvenir d’y être entrée. Elle a décidé de rester, mais ils laisseront leur fils en dehors. Ce serait trop difficile pour lui ; il n’a que neuf ans. Je l’ai dit à Benjamin, il est ravi de n’avoir pas été un cobaye inutile. Parfois je n’arrive pas à savoir s’il m’en veut ou s’il est content. Sûrement un peu des deux en y réfléchissant bien.
10 décembre (je sais plus, j’ai plus envie de savoir. Mais un bon bout de temps)
C’est totalement ridicule de continuer à écrire 10 décembre à chaque fois. Comme s’il n’y avait pas assez de routine comme ça autour de nous. Je n’en peux plus de Benjamin qui me demande A CHAQUE BOUCLE depuis combien de temps il en est sorti. Je me suis un peu énervée ce matin du coup. Alors il m’a dit de le sortir de la boucle pendant quelques jours, histoire de briser un peu notre monotonie et surtout de revenir ensuite dans sa pseudo léthargie en se rappelant d’arrêter de me demander ça tous les jours. On s’est mis d’accord ; si quelque chose de nouveau arrive, je lui en parlerais de moi-même. C’est bien. Parce que je commençais un peu à le détester. Le pauvre.
Il y a certaines choses qui me manque vraiment, des choses au premier abord insignifiantes, mais qui me ferait vraiment du bien. Comme prendre une douche. C’est totalement inutile, on est toujours aussi propres, mais le fait de sentir de l’eau couler sur son corps…c’est tellement plaisant. C’est sûr, c’est super écologique de ne pas avoir besoin de prendre de douche. De ne pas faire de déchets, de manger des choses qui se régénèrent au fur et à mesure étant donné qu’elles ne sont pas dans la même…dimension que nous. J’avais souvent l’impression que le monde allait trop vite, que je ne serais pas capable de m’adapter à tout ces changements…que je n’étais tout simplement pas adaptée à cette société de dingues, qui te demande toujours plus, toujours plus vite, sans respect pour notre rythme propre, pour notre environnement. Cette société étriquée entre les cultes, qu’ils soient faits de dieux, d’argent, de personnalités ou même de pseudo bonheur qui serait la panacée de la vie terrestre. Comme si vivre heureux (pour) toujours était la réponse, le sens caché de la vie, la sortie d’une boucle de réincarnations qui serait elle-même la malédiction que la vie aurait lancé sur le vivant. Il faut vraiment que je prenne une douche.
10 décembre (le surlendemain)
Comme quoi, l’envie de prendre une douche mène a de grandes découvertes. Il y a une piscine a 20 minutes de marche de la gare de Saint-Pierre-des-Corps ! Notre première sortie dans cette ville nous avait laissé un si mauvais souvenir que plus personne n’y est plus jamais descendu ! Quelle erreur ! Ma journée d’hier a été délicieuse. Une longue douche chaude dans les vestiaires, suivie d’une longue baignade, elle-même suivie d’une deuxième douche chaude. Suivie de moi qui me change à toute vitesse parce que l’heure de rebooter arrivait et je n’étais pas sûre ; reviendrais-je à poil si jamais je n’avais pas le temps de m’habiller ? Après tout, si l’on arrive à ramener des choses dans nos poches, pourquoi pas l’inverse ? Et bien non, il s’avère que je n’avais pas eu le temps d’attraper ma chaussure gauche et elle est revenue avec moi, sagement lacée à mon pied. Maintenant que j’y pense, c’est parce que Pascal était entré en gare de Poitiers et qu’il avait donc encore son imper sur les épaules qu’il avait été le seul à avoir de grandes poches supplémentaires à remplir lors de nos sortie courses. Donc il était probable que je retrouve mes habits en arrivant. J’ai un nouveau maillot, que j’avais acheté à la piscine et qui est revenu avec moi, coincé sous mon aisselle au moment de revenir. D’ailleurs je m’interroge : est-ce du vol ? Ce maillot, je l’ai payé, mais cet argent n’existe plus. Le maillot en question s’est-il…dupliqué ? Il y a t’il un double de lui-même dans cette nouvelle réalité ? Dans ce cas je ne l’ai pas volé, même si je ne l’ai pas vraiment payé. Je devrais peut-être en profiter pour faire plein de shopping ? Ouh la la, je viens d’avoir une crise de rire en m’imaginant serrer mes « possessions » à chaque nouvelle boucle ! Quelle image ridicule ! C’est incroyable, ça faisait longtemps que je n’avais pas ri autant. Peut-être cette baignade m’a-t’elle aidé à me débarrasser de cette espèce de chape de mal-être qui m’étouffait depuis quelques temps. J’ai l’impression que ma famille, les fêtes de Noël, la…réalité sont loin. Que je flotte dans un autre monde que celui où tout cela existe. Du coup, ces souvenirs, cette réalité lointaine qui n’en est plus une n’a plus le même impact sur mon être. Je ne suis plus touchée par l’absence de ce qui faisait ma vie là-bas. Je me suis fondue dans mon nouveau quotidien. Ça fait partie des choses absolument merveilleuses que l’être humain peut faire pour sa survie ; s’adapter. Que pouvais-je au final faire d’autre pour ne pas devenir folle ? Ce n’est plus une question de choix à ce niveau, mais juste de survie. Juste de survie.
10 décembre (bien plus tard)
Bizarrement, nous nous sommes tous repliés dans notre coin ces derniers temps. Comme si le contact des Coincés devenait douloureux, comme une petite brûlure. Ça ne fait pas très mal, mais c’est tout le temps là, lancinant. Obsédant. Voir dans les yeux de ceux qui savent le reflet de ta vie, c’est parfois oppressant. Je suis toutefois étonnée. Je pensais qu’on allait devenir amis, très proches les uns des autres avec tout ça. Mais pourtant c’est l’inverse qui a l’air de nous arriver. Autant nous adorions passer des bons moments ensemble au début, autant nous sommes maintenant focalisés sur le moindre défaut des autres. Un peu comme un vieux couple qui aurait oublié comment c’était quand ils étaient encore de jeunes amoureux, focalisant maintenant sur la moindre imperfection en la diabolisant jusqu’à se demander comment ils ont pu s’aimer un jour. Vu que les gens hors de la boucle étaient devenus un simple décor à nos yeux, il n’y avait que nos compagnons d’infortune pour nous rappeler la triste réalité. Nous allions peut-être passer notre éternité ici, entre nous. Et c’était insupportable. Les seuls avec qui j’échangeais encore un peu étaient Carole et Grégoire qui n’oubliaient pas que c’était grâce à moi qu’ils pouvaient au moins être l’un avec l’autre. Si leur fils était encore coincé dans la boucle, ils savaient qu’au moins il ne risquait rien. Ils ne vivaient pas comme les 12 autres Coincés (dont je fais partie) parce que leur fils, leur « fil de réalité », était là, à leurs côtés, jour après jour. Leur fils, avec qui ils partageaient plein de bons moments, quand bien même il ne s’en souvenait pas chaque lendemain. Ce n’était pas vraiment grave, ils étaient ensemble, et c’était le plus important. Alors, parfois, ils viennent dans mon wagon et l’on sort Benjamin de sa léthargie pour lui raconter les dernières nouvelles et se faire une petite fête. Je l’ai emmené avec moi à la piscine, il était totalement angoissé à l’idée que je ne le ramène pas dans le train à la fin de la boucle ! Que lui arriverait-il alors ? Serait-il lui aussi, comme le maillot de bain, dédoublé ? Il y aurait-il un lui libéré de la boucle à Saint-Pierre-des-Corps et un autre assis dans son éternel fauteuil de la voiture n°8 ? L’idée était bien trop effrayante pour que l’on ait envie de faire des expériences cette fois-ci. En plus, je crois que je commence à bien apprécier Benjamin. Sa demi-présence est la parfaite chose pour maintenir mon équilibre et me rappeler de « l’autre vie », celle d’avant la boucle, sans pour autant m’en languir. Et puis, il est vraiment sympa. Si jamais un jour on sort de là, j’espère qu’on restera amis. Amis….oui, je crois que c’est ça. On devient amis. Parce que lorsque l’on vit des moments aussi fort, que l’on partage autant de choses, il est impossible de considérer que nous ne sommes encore que de simples connaissances, des potes, ou autre terme plutôt impersonnel. Non ? C’est le genre de pensée qui me permet de me rattacher parfois à l’autre ligne temporelle, celle qui avance. Le fait de me dire que je pourrais ne plus voir Benjamin a quelque chose d’étrangement rassurant. L’idée de perdre de vue quelqu’un lorsque l’on vit dans un vase clos à quelque chose de tellement normal, de tellement lointain, que ça rapproche automatiquement de l’immensité habituelle du monde. En tout cas il retourne de l’autre côté après demain. J’ai bien vu qu’il hésitait. Une partie de lui aimerait rester. Mais je crois qu’il a aussi compris l’importance que sa présence dans les deux mondes avait pour moi. Alors il repart. Après demain, parce que l’après midi que l’on a vécu aujourd’hui était formidable, et il ne voudrait pas l’oublier… Moi non plus je ne voudrais pas qu’il l’oublie d’ailleurs.
10 décembre (on s’en fout)
J’ai à nouveau peur. Ce train qui freine brusquement tous les soirs, je n’ai pas envie au fond de savoir ce qu’il y aura après. Il y a t’il seulement quelque chose après ? A force de penser à ce que nous pourrions devenir si nous sortions de la boucle, j’ai réussi à occulter le fait que nous pourrions peut-être simplement ne pas devenir quoique ce soit du tout. Le néant. La fin de nous. Mais tout cela n’a pas de sens au fond. Pourquoi seulement nous 13 ? Un seul mort par wagon ? Totalement improbable, tout comme l’inverse. Ce chiffre, cette répartition laisse tellement peu de place au hasard, ça paraît…réfléchi. Serait-ce…une expérience ? Une expérience de type ésotérique ? Une expérience humaine ? Sommes nous réellement dans ce train finalement ? Ne sommes nous pas dans un laboratoire, 13 volontaires pour une expérience sociologique, immergés dans une réalité virtuelle ? Mais dans ce cas, qui est Benjamin ? Est-il réel ? Un simple effet de mon imagination ? Ou bien même…les 12 autres sont-ils réels eux aussi ? Suis-je simplement seule dans mon délire, seule dans mon imagination, seule enfermée dans un laboratoire, telle une souris dans sa cage ? Que j’aimerais croire en quelque chose en ce moment, quelque chose de plus grand auquel me rattacher. Mais devant moi il n’y a que le doute, et la peur qui l’accompagne toujours…
10 décembre (le dernier espérons)
Nous allons tenter une sortie. Une chose tellement incroyable qu’aucun d’entre nous n’y a pensé avant. Cela fait plusieurs boucles que nous éveillons progressivement tous les passagers du train. C’est Benjamin qui a eu cette idée lors de sa dernière venue. C’était à un de ces moments particuliers, celui où nos regards se croisent avec cette compréhension commune qui ne nécessite pas de mots, que j’ai vu la lueur, la lueur d’une idée que tu sais être brillante, s’allumer dans son regard. Et il m’a expliqué son raisonnement. Cette boucle était une simple anomalie, une anomalie qui aurait pu ne jamais détraquer l’existence de quiconque mais, pas de chance, elle a croisé notre convoi. La vie cherchant toujours une porte de sortie, une manière de continuer, a préservé une âme dans chaque voiture afin d’aider ce train a ressortir de ce paradigme qui n’aurait pas du être. Pour faire simple, notre place est ailleurs et c’est le train qui est coincé dans le temps, entraînant avec lui les vies qu’il contient. Il suppose donc qu’en libérant tout le monde afin de « tenir » le maximum de structure du train, nous pourrions peut-être le débloquer. Et franchement, je n’avais pas d’autre idée à soumettre, alors pourquoi pas ? Quoiqu’il en soit, presque tous les passagers sont maintenant Conscients (et non plus Coincés dès lors), et chaque Conscient peut lui même libérer quelqu’un d’autre. Lorsque nous nous sommes rendus compte qu’il suffisait à un nouveau Conscient de libérer une autre personne de la boucle pour devenir un « Conscient permanent », ça a été à la fois un coup dur et une bonne nouvelle. Coup dur parce qu’on aurait pu faire ça bien avant, bonne nouvelle parce que ça allait dans le sens de la théorie de Benjamin. Il est presque 18h, il faut que j’y aille.
10 décembre (21h)
Je suis contente de cette journée. Il sera écrit qu’en ce samedi 10 décembre j’aurai gagné un maillot de bain et un nouvel ami, presque…ah, le train entre en gare. Je réfléchirai au terme adéquate…demain ou un autre jour !